Pourquoi le corps ?
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Le chevalet désorienté… chemin d’espoir ! Par Laurent Desvoux-D’Yrek, décembre 2020. |
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Dans cette grande pièce à beau volume, dans cette résidence à coursives qui semble un de ces grands immeubles paquebots dont les architectes du XXe siècle semblaient avoir la fascination, à susciter des voyages de pierre, j’ai cru d’abord que c’était un atelier d’artistes, eh bien tous ces tableaux, de l’expressionnisme de ce petit carré représentant une tête en noir et blanc à ces cactus colorés sous verre à ces papillons comme collectionnés à ces grands formats sur les murs à tournoyer à tous ces chats qui se promènent en des pages de livres asiatiques aux tracés mystérieux sont l’œuvre d’une seule artiste, Aline Eichner, expliquant volontiers et avec enthousiasme ses techniques, son parcours, ce qu’elle recherche à travers l’expression artistique et l’on voit la cohérence de l’ensemble, qui n’est pas clos, loin s’en faut. Elle se tourne vers son mari pour faire préciser telle ou telle réponse si nécessaire, c’est que la peinture est comme un grand navire où toute la famille est à bord. Beaucoup de toiles de grand et de très grand format ont été peintes en province pendant la période de confinement dans une vaste maison familiale et la peintre a fait poser pour leursvisages expressifs leurs deux filles. De beaux visages d’enfants se ressemblant, peints en multiples variantes et comme tournoyant, il y a des tons ocres, des tons bleus, des tons violets, avec chaque fois une dominante de couleur, comme s’étirant au maximum de couleur froide à couleur chaude. J’ose un rapprochement avec le Watteau où tous les personnages s’avançant sur l’île de Cythère seraient un seul et même couple aux différentes étapes du chemin. La question du temps et de son chemin est centrale dans l’œuvre de Mme E. Le temps qui passe et emporte. Oui son art comme désir de fixer des traits, des moments, les visages des aimés. Vos tableaux sont comme des girandoles, cela tournoie et vibre et cela me fait penser aux tourbillons et oscillations de l’artiste Nicole Durand, dont j’avais vu déjà jadis les premiers tableaux au salon des arts à la Mairie du XVe – oh combien d’artistes et poètes par ces lieux et ces temps - et qui avec Jean- François Blavin et Nicole Barrière ont animé avec maestria les conférences lectures « Du côté du Pont Mirabeau » à l’ancienne Mairie du XVe, sur le square Violet. La différence ? tient peut-être que vous entendez davantage signaler votre espoir de
contrer l’emportement du temps avec ces contours nets, appuyés, ce trait en ligne large,
cette fixité tentée, de fixité en fixité, reproduite et variée, créant par là-même un
mouvement supplémentaire. Le maître qui l’a intronisée dans le mouvement des
expressionnistes et post expressionnistes a pu lui reprocher de sortir du cadre avec ses
propres conventions qui définissent cet art né de l’Histoire, de l’Histoire des Arts et A l’opposé, des visiteurs peuvent s’effrayer de voir demeurer ces inquiétudes existentielles, métaphysiques, concrètes sur une perfection menacée, rongée par le temps ou l’Histoire individuelle ou collective qui accompagne le temps. Et donc se tourneraient pour l’achat vers ces cactus tendance, aux couleurs festives et qui ne piquent pas, vraiment ?, vers ces papillons chatoyants, et qui ne volent pas dans tous les sens ou vers ces chats, qu’on dirait des héros tranquilles et farceurs d’une bande dessinée à l’ancienne, oui quasiment tous ces chats ont existé et promené leurs pattes dans les pièces familiales et artistiques. L’expressionnisme, voir les rayonnages d’un CDI de lycée rempli pour moitié d’œuvres de ce mouvement, si important évidemment comme témoignage de la tragédie qu arrivait dans les années trente en Allemagne, en Europe et dans le monde et qui arriva, et qui porte le vif, le saignant, le drame de l’être humain, dans ses interactions aux êtres humains comme aux difficultés de la condition humaine même, mais présenter autant, voire davantage, la face de lumière de l’art, la volonté de capter la beauté du monde, la recherche d’un équilibre, d’une beauté de la Nature et du cosmos à faire ressentir aussi et vibrer aussi sur les toiles depuis les artistes de la Renaissance jusqu’aux impressionnistes – et bien avant et bien après ! depuis Lascaux et avant à Vasarely et après !-, et d’insister sur les aspects dramatiques, comprenant aussi que ces rayonnages sont autant Art qu’Histoire et sont un accès à la connaissance, sinon à la compréhension, de ce qui se joua avec la barbarie nazie. Lorsque les drames contemporains de la période expressionniste s’éloignent encore dans le temps, pourquoi faire comme si l’on était fixé à ce temps-là et à cette forme-là, dans l’expression d’un drame sans issue ? Et prévenir, rappeler, anticiper, avertir, |
encore et toujours du possible retour bestial de l’Histoire ? oui cela demeure essentiel et l’Histoire qui tournoie aussi et montre que trop souvent les gens et les peuples oublient ou négligent les leçons à tirer des événements passés et de leur enchaînement. L’Histoire aussi est cet imprévu, ce qui arrive, et qu’on n’avait ni anticipé ni médité. Sauf à la relier à des épisodes qui n’étaient pas sur les rayons actuels de la mémoire collective. Et hors Histoire, des XXIe et XXe siècles, hors époque de ces saisons de crise sanitaire ? hors Histoire il reste toujours et encore la problématique lyrique du temps qui passe, de la Clepsydre, de l’Horloge au rire d’Hydre. De trouver sur ce plateau qui tournoie un équilibre entre les Vanités pour les représentations de tout ce qui est vivant, appelé à grandir, mûrir et mourir, à se désagréger, poussière ou atome et les Eloges, les Joies, les Fêtes, le Charme de la vie et de qui unit, rassemble, hausse ! Ces tableaux d’Aline Eichner sont une porte de secours et d’accès neuf pour donner envie de voir dans des galeries et des musées de telles toiles nées de l’expressionnisme, après consultation studieuse de documentation en livres et films sur cet art et son temps qui le vit naître et s’y attaqua ? Comme vos tableaux tournoient, en fait, en leur format rectangulaire, c’est comme si vous aviez quatre tableaux, présentant sur le chevalet tour à tour les quatre côtés par pivotements. Oui il est vrai que mes tableaux peuvent se présenter ou être exposés dans des sens différents. Vous pourriez avoir quatre acheteurs d’un même tableau. Il faudrait alors organiser un relais de présence du tableau chez ses quatre propriétaires… Le mari participe à ce jeu d’échafaudages d’installations de toiles unes et multiples. Le chevalet lui-même est désorienté par cet art qui tournoie et fait tournoyer. Dans ce tableau-ci, les traits de vos filles peuvent rappeler les personnages de la Commedia Dell Arte, comme des traits en plus sombres et inquiets, avec masques et rôles, une fixité et une mobilité pour l’improvisation sur le canevas comme mobilité de gestes scéniques, là ce visage est présenté et de face et de profil, reprenant le procédé cher aux cubistes de mes chers Braque et Picasso, cependant là encore, c’est pris pour manifester les jeux de la fixité et du mouvement, en superposition qui n’est pas pour heurt, provocation, coup de force esthétique, mais simple saisie de cette vie qui fige et défige, pose et bouge, pile et face ! Les deux sœurs à elles deux font déjà comme une farandole à se courir après et à jouer dans les espaces sous le regard de leurs doubles peints. Les visiteurs et potentiels acheteurs n’ont pas encore toqué à la porte après l’interphone. Vous m’avez dit que ce tableau, là-haut, s’appelait « La Ronde », le titre même d’une pièce souvent jouée par les compagnies de théâtre pour le nombre de rôles proposés, une pièce d’Arthur Schnitzler, des temps pré-expressionnistes, au temps viennois du docteur Freud, mais sur le tempo racinien d’Andromaque. Et tableau célèbre dans l’Histoire ? Oui le fameux Rembrandt, « La Ronde de nuit » pour le tour de garde, me précisera le mari lors de la visite suivante. La Peinture flamande et hollandaise, titre d’ouvrage à grand format qui supporte mon ordinateur portable, première mèche et flammèche dans la nuit. Et n’y a-t-il pas un Matisse à ce titre à bleu et blanc papiers découpés et festifs ? La Ronde ? m’essaierai-je à quelque propos de psychanalyse du Café du Commerce à quelques encablures ? la Ronde peut dire, inscrire la poupée russe comportant les jeunes babouchkas et prise elle-même dans la babouchka grand-maternelle, à la vaste maison de province. La Ronde ? la girandole ? la farandole ? le tournoiement ? bon sang mais c’est bien sûr, l’aspect circulaire est là pour contrer la flèche inexorable du temps, c’est une manière que le temps ne s’arrête jamais, en le faisant tourner, tourner, tourner ! Valse à mille temps pour café viennois. Derviche tourneur pour connaître l’extase, la sortie fantasmée, rêvée, espérée, crue et non crue, du temps! Et me revient le commentaire d’un professeur de classes préparatoires voyant dans le sixième vers de chaque strophe reprenant à l’identique son premier vers, « Je chante pour passer le temps »…, « Nous avons fait des clairs de lune »…, « Et j’en dirais et j’en dirais »…, une volonté de faire passage, révolution, cycle, retour planétaire, stellaire, cosmique, boucle et sortie de boucle, avancées décisives du temps dans ce même poème de Louis Aragon. Cherchant le mot « girandole » pour en fixer le sens, je l’épingle dans le « Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales », quoi, un chandelier à plusieurs branches ? et par métonymie les branches de la girandole ! Mais girande, girande, c’est le faisceau de plusieurs jets d’eau : y fleurit comme un calligramme d’Apollinaire. Mais le feu juste après l’eau « Gerbe de fusées » partant d’une roue tournant autour d’un axe vertical et |
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donnant lieu au bouquet. Et vous livre le centre d’une citation de Châteaubriand dans ses Mémoires d’Outre-Tombe : « On apercevait la girandole de feu de la Coupole de Michel-Ange, entre les tourbillons des valses qui tournaient devant les fenêtres ouvertes… » Parmi les visiteurs du lieu, aux fenêtres ouvertes pour raison sanitaire et pour beau
temps alternatif, la Directrice de l’école de la benjamine et un professeur de la
collégienne, l’école en lieu de vie, d’apprentissage des fondamentaux, des chiffres, des
lettres, des couleurs, des traits et des mouvements. Lors de la deuxième visite, d’autres
collègues professeurs du mari débarquent avec leurs enfants et sans copies… La Ruche ? à quelques autres encablures ?, vous vous demandez comment les artistes y vivaient eux
et leurs toiles en si peu de mètres carrés et de lumières et de chaleur, bon il est vrai que
les tableaux peuvent trouver des acquéreurs…, avec le temps et si le succès venait…Vous, vous vous vivez davantage dans votre art de peintre que dans un marketing
efficace, « Pourquoi le Corps ? », demandez-vous comme en reprise d’une question que
l’on vous pose souvent. Vous rappelez votre formation académique avec le dessin pour
apprendre et connaître les corps, mais aussi les réinterpréter, ouvrant la voie pour vous à une liberté par rapport au modèle devant soi et un moyen de faire accepter la
différence. « le corps représente la vie, le vivant… », « le corps comme prétexte, comme un
média, un outil qui me sert à comprendre. C’est une introspection ! », et connaissance du
corps de l’autre, « Ce sont les gens qui m’intéressent » ; « Je vois la multiplicité des
physiques ; chaque défaut devient intéressant, unique, beau », écrivez-vous notamment au Votre cousine allemande, Anja Lüdcke, installée à Paris, a créé un film, visible sur votre
site, où l’on vous voit en action, vous y définissez votre parcours, votre vision de la
peinture comme combat comme la vie même et l’historique de la naissance de vos séries,
vous avez créé par exemple des tableaux abstraits aux couleurs brossées avec vigueur ,
le corps s’y déroule en thématiques, du monde du cirque pour les contorsions des
acrobates, les « Siamoises » post film – et pièce - Freaks, aux membres multiples qui se
mettent à pousser, en visions dérangeantes, vos photographies jouent aussi ainsi avec
un aspect ludique plus affirmé, les « Anges », êtres humains à qui il pousse des ailes et « A la naissance de mes filles, l’eau a envahi mes toiles… », nageuses, nageurs, plages, piscines, fonds marins, temps de la gestation, « seul le Radeau de la Méduse nous rappelle à l’ordre »…, vos filles en modèles, « je m’autorise enfin à les dessiner et à les peindre pour fixer l’instant. » L’eau de l’acrylique par exemple, apportant fluidité, relief et lumière. « La peinture expressionniste me relie à mes origines allemandes, je l’ai ressenti depuis toujours, dès la première toile… », c’est la « der » phrase du documentaire, c’est votre der phrase d’artiste dans ce court-métrage en beau portrait pudique et sincère. Le dernier mot vraiment ? votre dernier mot ?
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Pourquoi le CORPS ? Par Aline Eichner J’ai débuté par le dessin académique pour apprendre et connaître le corps et ses formes, les mémoriser et, en les réinterprétant, mon dessin devient plus libre et s‘échappe de la représentation réaliste du corps ! Naissent des corps réinterprétés, maltraités, comme pour faire accepter la différence. Pour moi, le corps représente la vie, le vivant, en opposition à la mort. J’utilise le corps comme prétexte, comme un média, un outil qui me sert à comprendre. C’est une introspection ! Un va et vient permanent entre extérieur et intérieur, aidé par la ligne et la forme. Je peins avec des outils, des pinceaux, mais aussi avec mes doigts, j’ai besoin de mettre la main dans la pâte, de rentrer en contact, comme pour suivre un instinct primaire. Je peins le corps à travers des thématiques : le thème « salle de bain », une série de peintures
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aux tons bleus, « le monde flottant » ou les corps sont en suspension dans un univers rose et noir, entre deux espaces. Les thèmes « anges », « siamoises », « acrobates », et enfin la série des « magasins » (de mains, de têtes, de pieds, de sexes, d’enfants) : pied de nez à notre société de consommation ; magasins pour changer de tête, ou de membres comme bon nous semble ! Mes croquis de visages dans le métro me font voir les gens différemment. Je vois la multiplicité des physiques ; chaque défaut devient intéressant, unique, beau. Il n’y a plus de normes, plus de limites, mille visages, mille caractères, mille différences : le droit d’être différent ! De là découle la série des visages, des « gueules cassées », inventaire de ces têtes malmenées. Ce sont les gens qui m’intéressent, les gens différents, faire accepter la différence. Il y a aussi le corps, l’image qu’il renvoie, la présence du corps, de sa place de ma place, de mon image. L’existence de l’autre, du corps de l’autre, de sa place. Je le déforme, je le maltraite, je le questionne, une façon de le connaître, une façon d’accepter l’autre, de se faire accepter tel que l’on est. Par un travail sur moi et à travers le corps de l’autre, par le média du corps, je reste ouverte vers l’extérieur, en contact avec l’autre. |
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"Parmi les innombrables hypostases de sa peinture, ces tableaux font penser à des états d’âme évoquant la force, le pouvoir d’une conscience aux prises avec un monde hostile, une sorte d’exorcisme qu’elle applique au monde réel et qui transforme le figuratif en un irréel obsessif. Les thèmes, qui à première vue suggèrent l’horreur insurmontable se transforment à travers la magie des couleurs en une aventure pleine d’imprévu et d’allusif...." - Victor SONEA - critique d'art, Bucarest |
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